LA GARE DE SEREZIN DU RHONE
Au milieu du XIXe siècle, plusieurs compagnies de chemin de fer du Sud-Est de la France fusionnent pour donner naissance à l'un des plus grands réseaux de notre pays : la Compagnie des Chemins de fer de Paris-Lyon-Méditerranée (P.L.M.). Les gares situées sur cet itinéraire acquièrent alors une importance particulière. C’est le cas de la « station de Sérézin », construite en 1853 au Point Kilométrique 526, distance de Sérézin-du-Rhône à Paris.
Cette gare va changer les conditions de vie du village : le trafic des marchandises empruntant anciennement la route royale passant par Saint-Symphorien-d’Ozon se déplace à Sérézin-du-Rhône.
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La gare deux voies ferrées jusqu’en 1911. |
L’activité de la gare profite également de sa situation géographique à proximité de la route départementale n°16 Lagnieu - Givors et de la présence du Rhône et de l’Ozon. La création d’un service de diligence entre l'hôtel du Louvre à Saint-Symphorien-d’Ozon et Sérézin-du-Rhône assure les correspondances aux heures de passage des trains omnibus.
Au début du XXe siècle, la gare organisée d’abord le long de deux voies, connaît une extension avec l’adjonction de deux nouvelles voies en 1912. Elle offre de nouvelles perspectives aux voyageurs et industries du canton de Saint-Symphorien-d'Ozon et des localités du Nord du département de l’Isère.
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Deux nouvelles voies ferrées à partir de 1912. |
La gare compte huit agents permanents au service Exploitation et dix à douze agents affectés au service Voies et Bâtiments. Un garde-barrière vit dans une maison à proximité des voies, il contribue à protéger les villageois de la circulation ferroviaire.
Au fil des ans, le transport des voyageurs ne cesse de croître. Le train des ouvriers surnommé « le léger » passe à 6h30. Il est constitué de trois ou quatre wagons de troisième classe ; son intérieur rustique est équipé de banquettes en bois. Il circule de Vienne à Lyon-Brotteaux, il est de retour le soir aux environs de 18h30.
A 7h10, arrêt du train omnibus qui vient de Saint-Rambert d’Albon, à destination de Lyon-Perrache : c’est le train des voyageurs. Il transporte principalement des employés de bureau, des cadres, des écoliers et étudiants… Il convoie aussi un wagon postal et un wagon de queue mixte voyageurs, marchandises, bagages accompagnés, vélos, colis divers. Il attend parfois les retardataires !
Le trafic de marchandises s’accroît, alimenté par l'ensemble des industries implantées dans la vallée de l’Ozon : farine des moulins à blé, toiles de coton et couvertures de laine des filatures. À ces activités, il faut ajouter l'importante production agricole des communes voisines. Les conditions de la circulation ferroviaire de l'époque favorisent le développement de la gare et lui confèrent une importance économique certaine.
Après la Seconde Guerre mondiale, la gare est de nouveau au centre d’une belle activité. Les appartements au premier étage du bâtiment sont occupés par le chef de gare et le sous-chef.
Le personnel assure les écritures, la vente des billets, les renseignements, le départ et l'arrivée des trains, le chargement et déchargement des wagons de marchandises, sans oublier les sacs de courrier et colis postaux. La gare est indispensable aux petites entreprises du village.
LA CATASTROPHE FERROVIAIRE DU 16 OCTOBRE 1953 :
Copie de l’article du journal « Le Progrès » du 17 octobre.
« Une locomotive haut-le-pied tamponne un train d’ouvrier : 10 morts 44 blessés, dont 15 dans un état grave.
Le mécanicien qui avait brûlé les signaux est placé sous mandat de dépôt.
Un train, chaque matin, remonte en longeant le Rhône, les 45 kilomètres qui séparent St Rambert d’Albon(*) de Lyon. Il fait, comme l'on dit, « cette grande ramasse » des ouvriers et ouvrières qui, nombreux, viennent de plusieurs lieues, gagner leur vie dans les usines ou les bureaux de Lyon ou de la banlieue grise.
Un train pour les gens levés tôt et allant tôt au travail. Le « 3462 », comme ils l’appellent. Quelques wagons seulement, de bois bien sûr, wagons modestes pour gens modestes ! Ces dangereux wagons qu'au lendemain de chaque catastrophe l’on affirme toujours devoir « retirer de la circulation dans les jours qui suivent». Ceux de Sérézin, ceux de Ternay, ceux de St Gobain.
Dans ce « 3462 » qui appartient à la vie quotidienne des quelques centaines d'ouvriers arrivant musettes à l'épaule, encore barbouillés de sommeil, bleus et chandails poisseux de brume et de froidure matinale, on s'y entasse à qui mieux mieux. On se groupe par âge, par métier, par usine, par pays.
Il y a les jeunes, il y a ceux ou celles de « Poulenc », de la « Spécia » de « St Gobain » ; il y a ceux de Ternay, de Sérézin, de…. Certes, pas de compartiments réservés, seulement une habitude, l'habitude d’un wagon où l’on sait pouvoir trouver « son monde », « discuter un peu le coup avec les copains ».
Le « 3462 » allait donc, hier, peu avant 7 heures, en terminer de sa récolte quotidienne de « gens du labeur matinal ». Plus que trois haltes avant le terminus de la gare lyonnaise des Brotteaux. L’aube, cette aube qui, depuis septembre se dérobe un peu plus, s’imposait tout juste à la nuit.
Quittant Sérézin-du-Rhône le train démarrait, lorsque derrière lui, monstre aux yeux lumineux, on vit en un bond jaillir du brouillard épais (*) une machine haut-le-pied. Sous la violence extraordinaire du choc, le wagon de queue, il n’y avait pas de fourgon, éclata comme un fruit mur avant d'aller chevaucher l'avant dernier wagon qu'il écrasa de tout le poids de sa carcasse. Et ainsi de suite, l'avant dernier chevauchait le wagon qui le précédait et le gigantesque carambolage ébranlait et déchiquetait le train jusqu’à la locomotive (*).
Leur esprit retrouvé, quelques rescapés devaient nous déclarer : « Ce fut un fracas épouvantable. Dans le temps d'un éclair, nous vîmes se dresser le plancher du wagon. Nous fûmes littéralement catapultés certains d’entre nous se retrouvant à plusieurs mètres sur la voie, comme éjectés. Nous étions environnés d’un nuage de poussière et de buée. Puis de toutes part, des cris, des cris. Et du sang partout ».
Des secours arrivent de toutes parts.
La tête ensanglantée, blessé aux jambes, l'un des voyageur Mr Payant de Ternay, s'était retrouvé, étourdi, à plusieurs mètres sur le quai jonché d’éclats de planches et de poutrelles tordues. Il bondit vers la gare mais le personnel alerté par le bruit courrait vers le train démantelé que le brouillard dérobait de leur vue.
On téléphona aux pompiers de Vienne, à ceux de Lyon, à tous les médecins et ambulanciers d’alentour. On alerta les hôpitaux qui aussitôt mobilisèrent leur personnel et préparèrent l'arrivée des blessés que l’on devinait nombreux. Les habitants de Sérézin accoururent pour dégager les blessés les plus accessibles, beaucoup des leurs, car le dernier compartiment du wagon de queue, celui qui avait reçu le premier choc, était justement le compartiment de ceux de Sérézin.
Des wagons encore éclairés, dressés en montagne de planches brisées et de ferrailles tordues et ruisselantes de sang et d'où s’échappaient râles et appels, on retira les premiers morts et blessés en attendant qu'arrivent quelques minutes plus tard, avec leur matériel, les pompiers de Lyon et les pompiers de Vienne. Sur le quai en hâte, on alignait les brancards, donnait les premiers soins.
Ce fut entre cheminots, gendarmes, personnel médical, habitants d’alentour, rescapés, un assaut de dévouement.
Derrière l'écran de brume on voyait s'agiter, macabre jeu d'ombres chinoises, les silhouettes d'hommes et de femmes se hâtant vers les tâches les plus urgentes, portant ou soutenant un blessé.
Mais ils restaient encore nombreux ensevelis ou coincés sous les décombres les blessés lorsque arrivèrent fourgons et ambulances des pompiers de Lyon sous les ordres du commandant Mazas et Bal, et de Vienne sous les ordres du capitaine Goubet. Avec le renfort du matériel de la S.N.CF., des ambulances de la Société des Hauts Fourneaux de Chasse, le dégagement et l'évacuation vers Lyon et Vienne des blessés et des morts devaient être terminés à 8 heures.
Ne restait qu'à dresser douloureux bilan de catastrophe. Déjà les habitants de Sérézin reconnaissaient parmi les victimes plusieurs des leurs, dont leur institutrice Mme Klingel-Schmit, mère de cinq enfants. Dans le petit dépôt, où l’on avait aligné six cadavres, on assistait à des scènes déchirantes.
Un bébé de onze mois miraculeusement rescapé.
Lorsque, sautant parmi les décombres, un sauveteur appela ;« Vite, vite, il y a dessous, coincé entre les planches, un bébé qui pleure » ce fut un instant d'intense émotion.
C'était le petit Guyard, un enfant de onze mois, que tous les matins, sa maman, une ouvrière d'une manufacture de produits chimiques de St Fons emmenait avec elle à l'usine. La maman qui n'est plus, morte exsangue, les deux pieds sectionnés. Qui, dans les prochaines aubes froides après lui avoir donné le biberon et fait sa toilette matinale, emmènera vers une chaude pouponnière le petit orphelin Guyard.
Un signal brulé !
L’enquête ouverte aussitôt par la brigade de St Symphorien d'Ozon, puis par le commissaire Chalon, de la brigade mobile de Lyon semble conclure par une faute de service.
Le mécanicien …, du dépôt de Nîmes, gêné par le brouillard, affirme n'avoir pas vu le signal d'arrêt. Il ne freina que lorsque dans le brouillard il vit soudain, à quelques dizaines de mètres devant lui, la lanterne du train 3462.
L'examen de la bande Flamand a établi que lorsque la machine passa à hauteur du passage orange (ralentissement) à 2 km 500 de la gare de Sérézin, elle roulait à la vitesse de 60 km heure. Elle ne devait pas ralentir puisque passant à hauteur du signal rouge (arrêt complet), elle roulait à la vitesse de 66 km heure. Le coup de frein, donné quelques dizaines de mètres avant le choc, n'avait pu ramener cette vitesse qu’à 60 km heure.
Le mécanicien sera présenté ce matin, au parquet de Vienne.
Article rédigé par Marcel G. RIVIERE. »
(*) Correctifs apportés par Maurice Berthoux, à l’article du journal Le Progrès
Le train venait de Vienne (et non pas de St Rambert d’Albon)
Le temps était légèrement brumeux (mais pas d’épais brouillard)
Les deux premiers wagons ont été épargnés : j’étais dedans.
Dans les années soixante, la construction de l’autoroute favorise la concurrence des transports par camions, et la fermeture d’usines de la vallée de l’Ozon aboutit à la mise en sommeil de la gare.
Malgré la mobilisation de nombreux Sérézinois, attachés au fonctionnement de leur gare, celle-ci est transformée en 1969, en point d'arrêt géré (P.A.G.).
À partir de 2007, sous l’impulsion de la Communauté de Communes du Pays de l’Ozon (C.C.P.O.), la gare, tournée désormais exclusivement vers le transport de voyageurs, connaît un nouvel essor : 23 arrêts journaliers en 2024.
Chaque matin et soir de la semaine règne sur les quais une vive animation : la gare de Sérézin est la seule desservant le Pays de l’Ozon. Une navette est à disposition des voyageurs de Communay et Ternay. Les utilisateurs échappent ainsi aux embouteillages, à la pollution des automobiles en choisissant ce mode de transport.
La saturation du parking des usagers du train illustre à elle seule le succès remporté par ces trains de banlieue.
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